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21 octobre 2016

Baron noir

C’est une oeuvre d’art et de vertige qui aura tiré sa révérence, lundi 29 février, avec la diffusion sur Canal+ des deux derniers épisode de Baron noir, cette fiction politique où tout est vrai. On a attendu la fin de la saison 1 pour le dire, parce que spoiler est une méchanceté facile, mais enfin, voici: tout est vrai, et là est le vertige. Tout est vrai ou plutôt, tout est traçable, compréhensible, tout ce qui trame l’odyssée de Philippe Rickwaert, député et maire de Dunkerque qui va passer huit heures de feuilleton à éviter la prison et la honte pour y aboutir finalement, ayant au passage fait tomber un président de la République, Francis Laugier, qui avait été son ami… Tout ce qui trame cette odyssée, donc, exception faite de sa conclusion provisoire –un président français poussé à la démission, hérésie ou rêve fantasmatique des journalistes– est une transposition de la simple vérité. On a dit que le scénariste, Eric Benzekri, était à la meilleure école: ancien écuyer, compagnon, apprenti, plume et cerveau d’un grand fauve politique. Donc Julien Dray, dit «Juju», ci-devant ancien député du Val d’Oise, il y a trente ans inventeur de SOS Racisme, longtemps ombre cachée des mouvements de la jeunesse, ami patient et si souvent déçu de François Hollande, proie en son temps des affaires et des médisances, inspirateur et gourou d’une famille politique, la Gauche socialiste, aujourd’hui dispersée. «Le Baron noir, c'est moi», a dit Dray dans une interview. C’est tellement vrai, et plus encore. Il y a dans cette aube de Philippe Rickwaert, dans le premier épisode, quand des policiers s’apprêtent à fondre sur la société des HLM de Dunkerque, source d’un financement illégal du PS, l’écho d’une autre nuit, en décembre 2008, quand de vrais policiers investissaient la maison Dray pour des affaires embrouillées de chèques mal endossés et de train de vie suspect. Affaires personnelle dans la vraie vie, affaire de financement dans la fiction? Le PS a connu d’autres «perquises» célèbres dans les années quatre-vingt-dix, au temps des affaires, et puis après. Tout se percute, mais c’est le drame humain qui reste, que Dray, blanchi et blessé, a raconté sans fard dans un livre, L’Épreuve... Il y a dans la défense de Rickwaert, qui convainc ses amis que le seul enjeu est politique, qu’il faut faire bloc autour de lui, que tout n’est que manoeuvre contre la gauche et ses militants, tout ce que Dray pouvait dire aux siens. Il y a dans la manipulation permanente, dans ce mélange d’affection et de brutalités, de manipulations et d’enthousiasme, qui lie Rickwaert et son entourage, tout ce qu’ont vécu des années durant les adeptes de «Juju», acceptant tout et trop de leur démiurge, leur père, leur gourou; s’en épuisant jusqu’au malaise et à la folie; et finissant par l’abandonner. «Tu es le politique le plus inventif de ta génération, mais tu as besoin qu’on te protège de toi-même», dit à Rickwaert son adjointe et amie, qui finit par le trahir et l’envoyer en prison. Ainsi, à leur échelle, les amis de «Juju» lui pardonnaient tout, puisqu’il était le meilleur, et puis finirent par tuer le père. Un jour, Malek Boutih, qui était de Julien Dray le plus proche, se retourna contre lui et lui prit son siège de député. L’amour convulsif et puis la haine, et pourtant le remords, quand on a égaré une partie de sa vie.... Il y a dans la volonté de survie de Rickwaert, son coeur que l’on sent s’épuiser dans des courses folles pour colmater son système, toute la souffrance d’un homme, Julien Dray, personnage le plus riche de notre vie politique, dont on mesure mal l’aura passée et l’influence. Il y a dans la fin de Rickwaert, conseiller depuis sa prison de la candidate socialiste à la présidentielle, qu’il a séduite et qu’il ne se résoud pas à trahir, ce qui caractérise Dray, même au soir de sa carrière: toujours conseiller et maître, toujours dans l’oreille des grands, toujours les chapitrant et leur montrant une voie, leur tissant un avenir d’une parole fiévreuse. Rickwaert ou Dray, jadis mentor politique de Ségolène Royal, aujourd’hui, lit-on, guide d’Emmanuel Macron… Même les différences entre le modèle et le personnage rappellent une autre réalité. Dans notre monde, Julien Dray est un enfant des banlieues, un juif pied-noir passé par le trotskisme et ses idéaux, ses manips et ses naïves brutalités, entré au PS sans jamais se sentir accepté par les aristocrates du parti, bourgeois condescendants de l’énarchie bienveillante. Rickwaert aussi déteste les énarques. Mais lui, dans Baron noir, campe un politique de souche prolétaire, élu à Dunkerque, que les élites redoutent pour d’autres raisons et que méprisent les tendres technos qui pensent mener le monde. On raconte souvent la mésaventure de l’embourgeoisement socialiste. Mais ici, dans Baron noir, quelque chose sonne terriblement juste, et le choix de la ville de Rickwaert n’est pas innocent. Dunkerque, donc? Cette ville fut, il y a près de vingt ans, le théâtre de la lutte des classes à l’intérieur du PS. Dans une élection législative partielle, en 1998, le candidat officiel du parti, André Delattre, fut lâché par une partie de son camp: il était le patron de Coudekerque-Branche, ville-soeur de Dunkerque mais prolétaire, pas gentrifiée, sentant le peuple et ce qui l’accompagne, le clientélisme et le système. Delattre subit alors la dissidence, la concurrence des écolos, la désaffection du Dunkerque plus chic et fut battu par la droite. Ainsi –autrement– la droite, dans Baron noir, prend la ville… S’en est-il souvenu, Benzekri, quand il écrivait? Il n’y a donc pas que Dray dans cette histoire, mais ce qui travaille au corps la gauche au pouvoir, ce qui l’a travaillée depuis des années. Maintenant, amusons-nous au jeu des réminiscences. Quiconque en trouve d’autres, prévenez-nous. Quel futur hiérarque bouscule une excellence socialiste pour attirer son regard et quérir fortune? Philippe Rickwaert jeune, qui crève les pneus du camarade Laugier pour pouvoir le ramener dans sa voiture à Paris? Ou Ramzi Khiroun, aujourd’hui tycoon du groupe Lagardère, longtemps communicant de Dominique Strauss-Kahn, qui avait, dit la légende, bloqué DSK en voiture pour pouvoir lui parler? Quel ministre socialiste débarque dans un gouvernement policé, demandant à ses conseillers de bousculer l’administration? Philippe Rickwaert prenant le Travail sous Laugier, revenu en grâce avant la chute? Ou Jean-Luc Mélenchon prenant l’Enseignement professionnel en 2000 sous Jospin, à la tête d’une équipe de barbares militants, et qui voulait scandaliser l’establishment de son camp? Mélenchon, alors, était l’ami de Dray, et Benzekri fut conseiller au ministère… Quel socialiste, au fait, prend fait et cause pour les élèves des lycées professionnels et défie la bien-pensance de son camp? Jean-Luc Mélenchon encore, qui voulait miner le collège unique en valorisant les enseignements professionnels? Ou Philippe Rickwaert, qui vient en bleu de travail à l’Assemblée nationale pour rappeler à la gauche d’où elle vient? Ou, retour à la vraie vie, Patrice Carvalho, député communiste du Val d’Oise, qui enfila un bleu de travail pour sa première séance, en 1997, afin de rappeler qu’il était le seul élu prolétaire d’une assemblée de gauche… Poursuivons. Quel candidat socialiste abandonne son conseiller compromis dans une affaire scandaleuse, à la veille d’une élection? Laugier qui lâche Rickwaert? Ou François Hollande abandonnant Julien Dray en 2012, trouvant que décidément, son ami faisait tache, ayant invité le désormais sulfureux Dominique Strauss-Kahn à son anniversaire... Un baron socialiste saisissant au collet son chef de file? Philippe Rickwaert se précipitant sur le président Laugier, quand il réalise que l’argent détourné des HLM de Dunkerque a servi à financer le divorce du patron… Ou François Hollande et Julien Dray s’affrontant, sur le point d’en venir aux mains tels des coqs politiques, autour de Ségolène Royal, candidate à la présidentielle en 2007, encore compagne de l’un mais créature politique de l’autre. Et puis encore. Une entreprise en danger devenue le prétexte d’un candidat socialiste? C’est Clamex dans Baron noir, que Laugier vient visiter à la veille de son second tour, pour «prendre un engagement» et partager un picon-bière… Ou l’aciérie de Florange, où Hollande s’illustra en 2012, dans un discours jumeau de celui de Laugier dans le film, et si peu suivi d’effet... Ou Vilvorde, cette usine Renault de Belgique dont Jospin parlait en 1997, et puis laissa partir, devenu Premier ministre? Et aussi. Un leader lycéen, Mehdi dans le film, sortant de son AG pour prendre les consignes d’un élu socialiste? Ce furent des leaders des révoltes lycéennes lancées contre le gouvernement Rocard et son ministre de l’Education Jospin en 1990, dont les enfants de Julien Dray étaient les organisateurs –ou des révoltés contre le Smic jeunes en 1994, ou des enragés contre la réforme Devaquet, en 1986.... Le même leader, vendu par son mentor socialiste à la droite, invité à rencontrer le chef de l’UMP pour changer de camp? «Tu deviens député européen, je suis ministre, on se parle toujours, on se retrouvera», dit Rickwaert à Mehdi? Ainsi transposées, les OPA de Nicolas Sarkozy sur la gauche, au début de son quinquennat, qui aurait voulu Malek Boutih, qui débaucha finalement Fadela Amara, leader des Ni putes ni soumises, changeant de camp avec l’accord et l’appui de Dray, qui joua si souvent un jeu pervers et de dupe avec le sarkozysme... Revoyez la série, prenez le temps, et vous aurez le vertige. Tout est vrai? Il y a ce qui est transparent, facile. Niels Arestrup en Laugier, mixé de Mitterrand et de Hollande, avec une once de lâcheté en plus, méprisant mais incapable de se défaire de Rickwaert qui en sait trop, rattrapé par sa vie privée –ainsi Mitterrand que guettait le scandale Mazarine, ou Hollande dans ses vaudevilles, dévoilé par Closer… En face, le leader de la droite en jogger brutal, tel Sarkozy. Il y a ce qui amuse ou terrifie: les magouilles électorales, les tracts que l’on arrache des boîtes aux lettres, les violences électorales. Il y a ce qui attriste: l’incapacité de la France de Baron noir à influer sur l’Europe renvoie à notre déclin. Ce qui fascine: la nostalgie pour la grandeur et l’idéal de politiques empêtrés dans leurs impossibles. Et il y a tout le reste, tout ce que nous avons repéré et aussi ce que nous avons raté: la mémoire, les codes, l’humus d’une génération politique qui aura été celle des deuils de la gauche… Benzekri possède ces codes, qui ont été son existence même, lui, et il en joue et s’en abstrait en avançant. On peut jouer et jouer encore des effets de miroir, et finalement y renoncer, parce que Baron noir est une réussite au-delà de toutes les anecdotes. Le réel est une chose, mais sa transmutation est essentielle. Au bout du compte, Baron noir est aussi la libération d’un homme jeune encore, «Benzek» l’appellent ses amis et j’aime en être, qui a tant aimé la politique et ne s’en guérit pas, et qui lui rend son humanité dans les yeux de Kad Merad, sublime, terrifiant, traqué, inoublié. Un acteur, donc. Juste un film, et oubliez ce qui précède.

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