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7 mai 2015

Le monde vertical

Il y a dix ans exactement, j’écrivais Le peuple des connecteurs. J’étais alors persuadé qu’en nous interconnectant en réseau plutôt qu’en nous organisant en silos nous changerions le monde en un claquement de doigt. J’exposais ce qui ne marchait plus dans notre monde complexe et suggérais que l’auto-organisation était la solution à la crise de la complexité (à l’origine selon moi de nombre de nos maux). J’étais surtout persuadé que grâce à Internet, un outil né décentralisé, nous nous dirigerions vers un monde toujours plus décentralisé, moins inégalitaire, moins en prise de quelques puissants. Je n’ai jamais cru que la technologie en elle-même changerait le monde. Il s’agissait pour nous de nous en saisir pour amplifier un mouvement déjà à l’œuvre et nécessairement vital pour traverser la crise. J’étais trop optimiste. L’ubiquité d’un réseau décentralisé n’implique malheureusement pas la décentralisation des acteurs qui opèrent à sa surface (elle l’implique même le contraire à cause de la loi winner-take-all). En dix ans, nous avons ainsi assisté à une centralisation sans précédent, avec la montée en puissance des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), la surveillance généralisée des individus par les gouvernements, l’enrichissement démesuré des hyper-riches au détriment du commun des mortels. Dans le même temps, la complexité n’a cessé de s’accroître et aucun des problèmes complexes propres à notre temps n’a été résolu, ou même abordé avec une méthodologie post-cartésienne. Dérèglements climatiques, pollution de la chaîne alimentaire, extrême pauvreté, chômage endémique… n’ont cessé de s’aggraver, ce qui est assez logique, car il faut changer de méthodologie pour les solutionner alors que nous nous enkystons dans les vieux poncifs hérités de l’âge pharaonique. D’une certaine façon, nos sociétés n’ont jamais été aussi centralisées. C’est dramatique, parce que nous sommes face à une crise que nous ne traverserons pas avec ce mode d’organisation. Si les choses en restent en l’état, j’imagine trois grands scénarios. Un gigantesque cataclysme, soit naturel soit artificiel, qui épurera la population jusqu’à la ramener à un niveau tel que la complexité en serait mécaniquement réduite, ainsi donnant une chance aux silos de perdurer (scénario probable puisque rien n’est fait pour traverser la crise de la complexité). Une militarisation des populations, chacun de nous devenant une espèce de soldat préprogrammé, aux comportements ultraprévisibles, façon en quelque sorte de réduire la complexité, et encore une fois de maintenir les silos opérationnels (d’où les programmes de surveillance des populations mis en œuvre par les gouvernements). Une victoire (improbable) des idéologies décroissantes qui nous feraient entrer dans un second moyen âge. Heureusement, un sursaut reste possible. Déjà parce que nous sommes les principaux responsables de la crise, oui, chacun d’entre nous. Nous avons créé les GAFAM et les ultrariches par nos comportements de consommateurs stupides, et certains d’entre nous travaillent dans les organisations qui mettent en œuvre la surveillance, sans avoir comme Snowden le courage de la dénoncer. Un jour, il faudra peut-être juger ces collaborateurs, mais sans doute pas avec plus de sévérité que tous les humains libres, moi le premier. Nous sommes libres de changer le monde. Nous sommes aussi libres de faire comme tous les autres. Victimes du mimétisme, nous n’usons pas de notre liberté pour nous différencier, mais au contraire pour nous conformer, ce qui fait le jeu des silos (et facilite notre surveillance). Quand j’écrivais Le peuple des connecteurs, je nous croyais collectivement à la veille d’un gigantesque changement de comportement. Au contraire, les tendances lourdes initiées par la société consumériste au XXe siècle n’ont fait que se renforcer depuis. J’ai plus souvent qu’avant tendance à être pessimiste, mais reste cette possibilité d’un éveil. Comment le provoquer, c’est toute la question. J’ai essayé en écrivant, j’essaie encore avec ce texte même, mais il ne sera lu que par quelques centaines de personnes, déjà convaincues par tout ce que je dis. Il faut écrire autrement, adopter d’autres approches… et sans doute continuer à semer des graines jusqu’à ce que la forêt se mette soudainement à pousser. Après tout, ça serait dans la logique de la décentralisation. Peu à peu les grains de sable s’accumulent jusqu’à provoquer un basculement dans les états critiques. Alors je me donne le moral en songeant à ces forêts qui pousseront bientôt. J’imite le héros de Giono dans L’homme qui plantait des arbres, sans cesser de grimacer, surtout quand je vois des intellectuels comme Evgeny Morozov montés au pinacle (par les médias qui adorent les réactionnaires puisqu’ils leur donnent un espoir d’un retour à leur âge d’or). Comme moi, les Morozov & cie critiquent l’état de notre monde, mais leur analyse diffère du tout au tout. Ils voient la solution dans le mal, dans la centralisation, cette centralisation à la source des inégalités comme des ultrariches. Un exemple, dans Libération, Morozov déclare : On ne peut pas se permettre de déléguer les questions relevant de la technologie au seul marché, de les gérer comme de simples consommateurs. Non, il faut traiter la technologie de la même façon que la monnaie : c’est l’une des puissances centrales qui organise la vie moderne. Un pays qui abandonne sa capacité souveraine à fabriquer et organiser les technologies court plus ou moins le même risque qu’un pays abandonnant sa capacité à frapper et organiser sa propre monnaie.

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